Tombe d’Henri II et Catherine de Médicis à la Basilique Cathédrale de Saint-Denis
Le 26 juin 1574, la foule s’est rassemblée en place de Grève pour assister à la décapitation de l’un des chefs du clan protestant, Gabriel de Lorges, comte de Montgomery.
C’est l’époque des sanglantes « guerres de religion » qui opposent catholiques et « réformés ». Après des années de batailles, de victoires et de défaites, Montgomery, général huguenot, est fait prisonnier à Domfront (Normandie) en mai 1574. Capture de choix, l’homme est ramené à Paris, enfermé à la Conciergerie, jugé, condamné pour crime de lèse-majesté et finalement mis à mort un mois plus tard. Parmi les spectateurs, la reine Catherine de Médicis est sans doute la plus satisfaite du sort réservé au protestant. A l’une des fenêtres de l’hôtel de ville, elle semble se réjouir, se rappelant sans doute alors l’événement « déclencheur », celui qui, en d’autres circonstances, autrefois, lui a fait d’emblée détester cet homme.
Gabriel de Lorges comte de Montgomery, 1530-1574, par Feron Eloi Firmin (1835)
Nous sommes le 30 juin 1559 et le même peuple de Paris s’est massé dans le Marais. C’est jour de fête au pied de l’église Saint-Paul, rue Saint-Antoine, sur cette vaste esplanade qu’on voit encore aujourd’hui, dépavée pour l’occasion : le roi, les princes, les grands du royaume, vont s’affronter au cours de ces impressionnantes joutes de chevalerie qu’on pratique encore sous la Renaissance.
Au centre de la place, dans la tribune officielle, trois « souveraines » sont assises : Catherine de Médicis, reine de France, sa belle-fille Marie Stuart et la maîtresse en titre du roi Henri II, Diane de Poitiers. Le tournoi qui va bientôt commencer célèbre un événement heureux, un double mariage : celui du roi d’Espagne Philippe II avec Elisabeth de France et celui de Marguerite de Valois, sœur du roi, avec le duc Emmanuel-Philibert de Savoie. Cette double alliance met un terme aux guerres d’Italie. La France fête la paix retrouvée.
Toutefois, au milieu de toutes ces réjouissances, Catherine de Médicis paraît inquiète. Ses astrologues lui ont-ils fait part d’une mauvaise nouvelle ? Michel de Nostredame, le mystérieux Nostradamus, lui a-t-il fait passer l’un de ces quatrains alarmistes dont il a le secret ? Est-ce simplement la chaleur étouffante ou bien la présence de Diane de Poitiers à ses côtés qui incommodent la reine ? Quoi qu’il en soit, celle-ci a fait savoir qu’elle détestait ces « assauts d’un autre âge » et qu’elle avait hâte que le tournoi prenne fin.
Bientôt, c’est au tour du roi d’entrer en lice. Henri II a pour l’occasion endossé une armure dorée qui flamboie au soleil de juin. La foule applaudit son souverain puis se tait. Les chevaux s’élancent. Pour ce premier tour, le roi affronte le duc de Savoie. Les chevaux se frôlent, les lances s’entrecroisent. Touché, Savoie vacille mais reste en selle.
Au second tour, le duc de Guise est l’adversaire à « estoquer ». Mais c’est un autre match nul : aucun des deux cavaliers ne tombe. Le troisième tour oppose enfin le roi à Montgomery, son capitaine des gardes écossaises. C’est un homme jeune qui s’élance maintenant contre un roi vieillissant, qui plus est essoufflé par ses premières joutes, et c’est lui qui, logiquement, va prendre le dessus : Henri II est déstabilisé, manque de tomber de cheval.
Vexé peut-être d’avoir ainsi perdu la face devant la reine et devant sa maîtresse, le roi demande une quatrième passe, contre le même adversaire. On tente de l’en dissuader. Mais Henri II s’entête et s’élance rapidement, au point que son rival n’a même pas le temps de changer sa lance abîmée par le premier choc. Lorsque les deux hommes se rencontrent à nouveau, le heurt est violent. La lance de Montgomery éclate en morceaux et glisse jusque sous le heaume royal. Henri II, atteint en plein visage, s’écroule.
Très vite le roi est transporté à l’hôtel des Tournelles tout proche. Malgré l’affreuse blessure qui le défigure – un morceau de la lance est entré par l’œil pour ressortir par l’oreille – le souverain est conscient, il parle, rassure ses proches. Les chirurgiens et les médecins de la Cour se pressent à son chevet ; Philippe II envoie même chercher son propre chirurgien à Bruxelles.
C’est hélas peine perdue : cinq éclats de bois ont définitivement pénétré le crâne d’Henri II. Malgré les expériences du célèbre Ambroise Paré, qui obtient l’autorisation de reproduire la royale blessure sur des têtes de condamnés à mort (!), le souverain se meurt : ses blessures s’infectent, il perd bientôt connaissance, non sans avoir au préalable, dans un de ses moment de conscience, pardonné à Montgomery : « Ne vous souciez pas. Vous n’avez pas besoin de pardon, ayant obéi à votre roi et ayant fait acte de bon chevalier et vaillant homme d’armes ». Après une terrible agonie, il meurt enfin le 10 juillet.
Les clémentes paroles qu’il a prononcées n’ont pas pour autant rassuré Gabriel de Lorges. Craignant à juste titre la colère de la reine, le capitaine des gardes écossaises a entretemps quitté la cour pour se réfugier à l’étranger. Bien lui en a pris d’ailleurs, car aussitôt après la mort du roi, Catherine de Médicis ordonne son bannissement. Privé de son commandement, le fuyard est désormais recherché et désigné comme celui « qui tua a jouster le roi Henry ».
Croyant la reine apaisée, Montgomery revient cependant en France quelque temps plus tard. Ayant embrassé la foi protestante au commencement des guerres de religion, il mène alors des batailles pour son camp, aux quatre coins du royaume, jusqu’à son arrestation en 1574. Quinze ans après le funeste tournoi de la rue Saint-Antoine et presque jour pour jour, Catherine de Médicis peut enfin assouvir sa vengeance…
Quatrain dont on dit qu’il prédisait
la mort d’Henri II
Le lyon jeune le vieux surmontera,
En champ bellique par singulier duelle,
Dans cage d’or les yeux luy crevera,
Deux classes une, puis mourir, mort cruelle