Au temps du Covid-19, les rues vides du Marais ressemblent à un décor de science-fiction. Mais pour ceux qui n’y habitent pas et, aussi, pour les autochtones réfugiés à la campagne, le quartier reste encore accessible grâce au Marais Mood et… à Google Street View !

Nostalgique de Paris, Djiefssi, directeur artistique confiné dans l’ouest de la France, a choisi de flâner dans les rues du Marais. Suivons cet observateur rousseauiste dans ses « rêveries d’un promeneur confiné ». Première étape : la rue Béranger.

Nous entrons dans la rue Béranger, en arrivant par la place de la République. Malgré le temps maussade, un jeune homme s’apprête à surfer, comme nous.

Soudain, miracle ! Un rayon de soleil illumine la rue. L’explication de ce changement météorologique est simple, la vue ci-dessous fut prise quelques jours après.

Sur notre gauche, au 22, un restaurant discret au nom étrange. Selon Wikipédia, cette adresse abritait, en 1878, un magasin de jouets, dans lequel était entreposé une grande quantité de fulminate de mercure destiné à des pistolets à amorce pour enfants. Le stock explosa. Le sinistre fit quinze morts et dix-huit blessés. Deux maisons furent détruites.

Intrigués, nous revenons sur nos pas : le nom du restaurant a changé :

Recommençons l’expérience : encore un autre nom !

Google Street View semble coutumier de ce genre de déchirure dans le continuum espace-temps, Chhhut!!! date de 2013, Foug de 2016, Pizzu de 2019. Pour ne pas finir comme Orphée, changé en statue de sel pour avoir regardé en arrière, nous décidons de continuer notre périple le regard désormais toujours porté vers l’avant. Le turn-over des commerces est important dans le Marais, il peut donner le tournis. Longue vie donc à Pizzu, plutôt bien noté sur Trip Advisor.

Un peu plus loin, l’entrée du passage Vendôme que nous ne pouvons pas visiter car il est piéton. Le sans domicile fixe que l’on devine dans l’ombre nous fait tout de suite penser à l’œuvre de Balzac où est omniprésent le thème de la pauvreté à Paris. La rue Béranger apparaît d’ailleurs dans « Les illusions perdues ». Coralie et Lucien de Rubempré, personnages centraux du roman, habitent cette artère, alors nommée rue Vendôme, avant d’être obligés par la misère de chercher un appartement moins cher. A l’époque, le Marais était pauvre, certes, mais d’autres quartiers se situaient encore plus bas dans l’échelle sociale.

Dépassons ce passage, à regret, car il restera secret pour Google Street View. Au premier étage, une jeune femme regarde ce fantôme qui passe à travers une belle fenêtre en demi-lune.

Le flou gaussien de Google associé à la lumière de ce qui doit être son smartphone illumine son visage d’un halo étrange. Préfiguration d’un masque chirurgical ?

Au 16, qui peut se douter que se trouvait jusqu’à la Révolution le couvent des Filles-du-Sauveur fondé en 1701 pour venir en aide aux mauvaises filles repenties.

Au 14 se trouvait un jeu de paume (l’ancêtre du tennis), celui du Comte d’Artois, construit en 1780 sur une parcelle du couvent voisin des Filles-du-Sauveur par l’architecte François-Joseph Bélanger. Démoli au milieu du XIXe siècle, il laissa la place, en 1851, au théâtre Déjazet dont l’entrée se trouve au 41, boulevard du Temple. Sur le calicot défraîchi on peut lire « Administration ». Mais est-ce aussi l’entrée des artistes ?

Au 11 se situait l’hôtel Bertier de Sauvigny, devenu mairie de l’ancien VIe arrondissement, créé sous le Directoire. Le bâtiment fut détruit et un affreux parking de neuf niveaux fut construit. Les cinq derniers niveaux ont ensuite été aménagés en bureaux et furent occupés par le journal Libération, de 1987 à 2015.

Au 5, se trouve l’ancienne demeure de Pierre-Jean de Béranger (1780-1857), chansonnier prolifique très populaire en son temps qui donna son nom à la rue.

Laissons la « rame de Starck » installée par la ville de Paris, nous en faire le détail.

Au numéro 3, l’école primaire abrite ce jour-là des bureaux de vote pour les Européennes. Une passante semble partagée, pour ne pas dire déchirée, entre la liste Loiseau et la liste Lagarde.

Nous arrivons au numéro 2 de la rue Béranger, où se trouve l’hôtel Fargès, dit aussi de Mascrani, construit entre 1720 et 1727 par Gillet de la Chaussée. Pendant la Révolution française, l’hôtel était le siège de l’Administration des Vivres. 

Prochain épisode : rue Charlot.

 

Texte : Djiefssi

03.05.20