Transportons-nous à la fin du dix-neuvième siècle. Le cocher du fiacre qui nous a véhiculés nous à déposés à l’adresse que nous lui avions indiqué. Nous le payons, il vérifie et déclare : «Ça fait la rue Michel». Cette expression typique de l’argot de sa profession signifie «Ça fait le compte» ou plus exactement «Le compte est bon». Il s’agit en fait d’une fine allusion à la rue Michel-le-Comte, bien connue de ces professionnels, ainsi d’ailleurs que les six mille et quelques autres rues de la capitale.
Revenons en mai 2019. Nous nous trouvons justement à l’angle de la rue Beaubourg et de cette fameuse rue Michel-le-Comte, que nous n’allons pas «faire», mais emprunter. C’est une nouvelle entrée vers le Marais.
Au 28 nous longeons la façade du très bel hôtel de Hallwyll. Sortons la rame de Stark pour en savoir plus.
Au 21, une autre rame nous apprend que le mathématicien, physicien et philosophe Jean Le Rond d’Alembert (rond peut-être mais grand sûrement), celui de l’encyclopédie, a usé ses culottes courtes dans cette rue.
Au 19 se trouve l’hôtel Beaubrun, dont on peut penser qu’il a appartenu à Henri de Beaubrun (1603-1677) ou à son cousin Charles du même nom (1604-1692), mais rien ne l’atteste, nous sommes dans le flou artistique : ces peintres à la cour de Louis XIII, puis à celle de Louis XIV, travaillaient conjointement de manière si étroite qu’on ne peut discerner qui a fait quoi. Ne dit-on pas que les beaux bruns sont souvent ténébreux et pleins de mystères ?
Au 16, cette modeste porte rouge est fermée. Dommage : elle donne paraît-il sur une cour, où se trouvent le plus vieux cadran solaire de Paris, un puits et un escalier en fer forgé, entourée de bâtiments datant du XVe au XVIIe siècle, le plus ancien étant celui de l’ancienne Auberge de l’Ours et du Lion !
Juste à côté, un autre débit de boissons semble avoir été malheureusement déserté par sa clientèle, qui a préféré probablement aller laper ailleurs. Rue de Lappe, peut-être, du côté de la Bastille…
Le no 7 a appartenu à Antoine-Louis Lefebvre de Caumartin qui donna son nom à la moitié de celui de la station de métro Havre-Caumartin, que tous les parisiens connaissent sans, pour la plupart d’entre eux, rien savoir de ce personnage. Le Marquis de Saint-Ange, comte de Moret et seigneur de Caumartin fut intendant des Trois-Évêchés et des provinces de Flandre et d’Artois puis prévôt des marchands de Paris de 1778 à 1784. Vu la modestie du bâtiment, on peut imaginer qu’il l’acheta dans sa prime jeunesse, «Idéal première acquisition» comme on dit dans le milieu de l’immobilier ou bien qu’intègre jusqu’au bout des ongles, il ne profita point de sa position de grand commis de l’état pour faire fortune.
Nouvel étonnement lorsqu’on comprend qu’à l’emplacement des bâtiments qui suivent s’élevait un hôtel particulier où Marie-Madeleine de Castille et Nicolas Fouquet, célèbre surintendant des finances, vécurent de 1651 à 1658. Cet hôtel particulier a appartenu jusqu’en 1624 à la famille des Montmorency. Visiblement, cet îlot a dû faire l’objet de profonds remaniements.
Au bout du compte, nous arrivons au croisement avec la rue du Temple.
Nous entrons dans la rue des Haudriettes. Elle se nommait jadis rue de L’Échelle-du-Temple, en raison d’une échelle patibulaire, espèce de pilori ou carcan, qui s’y trouvait. Le condamné, pour accéder au plancher où il était exposé aux quolibets du public, devait emprunter une échelle, d’où le nom. A l’époque de Mazarin, quelques jeunes seigneurs, excités par quelques shots, brûlèrent en chantant cet instrument. Le cardinal le rétablit sur-le-champ, et leur fit ainsi connaître son mécontentement : « Messieurs, si pareil scandale se renouvelle, vous payerez d’abord les frais de la reconstruction de l’échelle, et vous l’étrennerez ensuite ». Gageons que cela les refroidit.
Ces évènements se déroulèrent à l’emplacement de l’actuel square Renée Vivien, de son vrai nom Pauline Mary Tarn, surnommée « Sapho 1900 », poétesse britannique de langue française. Il s’agit probablement du plus petit square de la capitale.
Revenons à l’origine du nom de cette rue. Étienne Haudry, grand panetier (chef du service de bouche) de Philippe le Bel, partit en pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. Son épouse Jeanne le croyant mort pour une raison qu’on ignore réunit chez elle plusieurs femmes pieuses, avec lesquelles elle fit vœu de chasteté et de consacrer sa vie religieuse au service des pauvres.
Lorsque Étienne revint en 1329 et en pleine forme, il obtint que sa femme soit dispensée de son vœu, à condition que son association pieuse puisse perdurer. Afin de l’en remercier, ces religieuses prirent le nom d’« Haudriettes ». Un peu comme Cloclo et ses Clodettes en quelque sorte.
Aux 4 et 6 se situe l’hôtel particulier de Bondeville. Il n’y a rien de particulier à dire sur cet hôtel si ce n’est qu’il a appartenu à Thomas Raponel, seigneur de Bondeville.
Arrivés au croisement de la rue des archives, retournons-nous pour admirer la petite place nouvellement nommée Patrice Chéreau et la fontaine des Haudriettes, datant de 1764, qui s’y dresse.
Traversons et pénétrons dans la rue des Quatre-Fils. Le Marais Mood a déjà consacré un article à ces personnages, c’est ici.
Le côté sud de cette rue est entièrement occupé par les bâtiments des Archives nationales. Google Sreet View permettant des cadrages audacieux, l’image ci-dessous montre les grands dépôts construits sous Napoléon III dans leur totalité. Suivent le Centre d’accueil et de recherche des Archives nationales (CARAN), construit en 1987 sur les plans de l’architecte Stanislas Fiszer, puis les communs de l’hôtel de Rohan.
En face, se trouve l’hôtel de Guénégaud, qui abrite le musée de la chasse et de la nature. Nous attendrons que nos pas nous emmènent un jour rue des Archives devant la porte d’entrée de ce bâtiment pour vous en dire plus.
Au No 22 nous trouvons l’hôtel Thirioux d’Arconville construit en 1766-1767 sur une partie de l’ancien jardin de l’hôtel Guénégaud situé au 60, rue des Archives.
Au 20 suit l’hôtel particulier où habitait Raymond de Sèze, qui fut le principal défenseur de Louis XVI, comme son nom semblait l’y prédestiner…
… quelques mètres plus loin, au 18, nous contemplons l’hôtel Le Rebours construit entre 1624 et 1632. On remarque un cadran solaire mural qui, à cette heure-ci de la journée se trouve à l’ombre, ce qui l‘empêche de bien remplir sa fonction.
Pour finir ce défilé de belles bâtisses, voici, au 16, l’hôtel Aymeret construit sous Louis XII. Ce bâtiment fut occupé par les bureaux du Bazar Parisien ou Annuaire raisonné de l’industrie des premiers artistes et fabricans de Paris dont voici un extrait, pris au hasard dans l’édition de 1822 : «Autellet, Arquebusier, rue Michel-le-Comte, n°10. Breveté de son altesse Royale monseigneur le duc d’Angoulême, et successeur des sieurs Fillon, et Langumier, arquebusiers du Roi. M Autellet travaille avec le même soin que ses prédécesseurs : aussi soutient-il avantageusement une réputation méritée par de longs travaux : cette maison est, en effet, dans son genre, l’une des plus anciennes que nous puissions citer». Pour info, à l’adresse citée se trouve actuellement le Centre des Finances Publiques.
En face, le Centre d’accueil et de recherche des Archives nationales (CARAN), construit en 1987 dans le but d’augmenter la surface de consultation des documents face à l’accroissement de la demande.
Sur la façade, dans l’axe de la rue Charlot, Ivan Theimer a conçu le relief en bronze des Quatre Fils Aymon. A première vue, on n’en compte que deux, l’un semblant dire à l’autre «passe moi le cheval». Les deux autres sont en arrière plan, comme esquissés. Un petit coup de Kärcher permettrait sûrement de les faire réapparaître aux yeux des promeneurs.
Sur le trottoir d’en face, un alignement de panneaux nous rappelle que nous sommes en période électorale pour les européennes. Le budget de campagne d’Hugo Boss semble bien plus conséquent que celui de Nathalie Loiseau.
Enfin, dans la continuité du CARAN, voici l’hôtel de Rohan, qui fut la propriété de quatre cardinaux et évêques de Strasbourg successifs. Le plus célèbre d’entre eux demeure Louis-René-Edouard de Rohan, impliqué dans la sombre « affaire du collier de la reine » et arrêté en 1785. Embastillé, il sera finalement acquitté par le Parlement de Paris, qui condamnera la comtesse de La Motte, véritable instigatrice du complot. Ces murs vénérables abritent aujourd’hui les équipements techniques de l’ensemble des archives nationales : ateliers photographiques et de microfilmage.
Texte : Djiefssi
01.06.20