L’église et le cloître des Billettes, rue des Archives, sont deux trésors d’architecture à connaître. Si l’église n’est ouverte que pour les offices, le cloître en revanche sert souvent de lieu d’exposition. Il suffit donc d’entrer, depuis la rue, pour découvrir l’un des plus beaux édifices médiévaux de Paris, dont la fondation remonte à la fin du XIIIe siècle.
Église luthérienne des Billettes, ©Mbzt
Le point de départ, précisons-le d’emblée, est douloureux : la décision de bâtir ici une première chapelle est liée à une prétendue « profanation d’hostie », thématique antisémite récurrente dans toute la chrétienté du Moyen Âge. Dans ce cas précis, l’histoire est celle du juif Jonathas Ben Haym, prêteur sur gages, ayant ici sa maison et qui, selon les termes de son procès, aurait tenté, le jour de Pâques 1290, de découper une hostie consacrée mise en dépôt chez lui par « une servante chrétienne ». Du sang aurait aussitôt jailli de cette lacération. Finalement, jetée dans l’eau bouillante, l’hostie se serait transformée en « vrai corps » et « vrai sang du Christ ». En ces temps où religion, superstitions et légendes s’entremêlent étroitement, il n’en faut pas davantage pour faire condamner Jonathas à mort. L’homme est brûlé vif et ses biens sont confisqués au profit de la Couronne.
Cloître des Billettes, ©Mbzt
Quelques années plus tard, un « bourgeois de Paris », Régnier Flaming obtient du roi, puis du Pape, l’autorisation de bâtir, sur l’emplacement de la maison de Jonathas, une première chapelle, afin de célébrer le « miracle » de « l’hostie qui saigne ». L’édifice devient vite populaire ; on s’y rend en pèlerinage, les dons affluent, la voie qui borde la chapelle change même de nom : l’ancienne « rue des Jardins » (actuelle rue des Archives) devient la « rue du Dieu-Bouilli »…
La fondation religieuse primitive prend vite de l’ampleur, si bien qu’une communauté s’installe à demeure au tournant du siècle : les frères Hospitaliers de la Charité-Notre-Dame, qui administrent l’église jusqu’au XVIIe siècle. C’est à eux sans doute qu’il faut attribuer le surnom de « Billettes » donné à la chapelle miraculeuse. On dit en effet que ces moines portaient par-dessus leur habit un scapulaire en drap, de forme rectangulaire (dit aussi « billette » car rappelant la figure héraldique du même nom). Avec eux, « la chapelle des moines Billettes » prospère et s’agrandit. Ainsi, dans le 1er quart du XVe siècle, l’église est reconstruite ; on lui adjoint en outre un cloître et un cimetière pour les frères défunts et les bienfaiteurs de l’ordre.
Nef et chœur de l’église luthérienne des Billettes, ©Anaïs Costet
Le déclin s’amorce avec la Renaissance. Aux Hospitaliers succèdent, en 1633, les « Carmes-Billettes ». L’église, elle, est alors en piteux état et menace même de s’écrouler, au point qu’une reconstruction complète est décidée dans les années 1750. Les plans sont probablement fournis par Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne, à qui l’on doit la cathédrale Saint-Louis de Versailles (mais d’autres sources mentionnent également le frère Claude, un dominicain, comme architecte du nouveau projet). L’édifice est achevé en 1758 : c’est l’église actuelle, telle qu’on peut encore l’admirer, avec sa façade décorée de pilastres et de pots-à-feu ; l’intérieur est sobre : une nef courte, sans transept, bordée de deux bas-côtés, terminée par un chœur en demi-cercle.
Confisqués et vendus comme biens nationaux sous la Révolution, les bâtiments religieux sont rachetés par la ville de Paris sous Napoléon Ier et affectés au culte protestant (luthérien). C’est toujours le cas. C’est à cette époque, au XIXe siècle, que les bas-côtés sont divisés dans leur hauteur, par l’adjonction de tribunes avec balustrades en bois. Le cloître, lui, demeure à peu près dans son état d’origine ; à part l’aile Nord, refaite également au XIXe siècle et quelques aménagements dans les étages, le lieu a peu changé depuis 1427.
Malgré ses dimensions modestes, il présente l’exceptionnel intérêt d’être le seul exemple de cloître médiéval conservé à Paris dans son « entier ». Plus long que large, il dessine un rectangle autour d’une courette, avec de jolies arches gothiques, dont les clefs, pour certaines, sont ornées (dans l’aile sud, on remarquera notamment deux anges délicatement sculptés portant un écu autrefois semé de fleurs de lys). En retrait de la très vivante rue des Archives, les galeries voûtées ont su garder un charme apaisant. Comme les frères « Billettes » autrefois, je vous invite à y flâner un moment et, pourquoi pas, saluer, même brièvement, la mémoire de l’infortuné Jonathas.