La prise de la Bastille, Anonyme, Huile sur toile, H. 184,5 x L. 273,5 cm.
L’histoire de la prison de la Bastille commence en XIVe siècle avec la construction de la forteresse en un temps record, de 1370 à 1383. Treize ans seulement ! Nous sommes en 1358, sous le règne de Charles V, aux pires heures de la Guerre de Cent Ans. Le royaume de France est presque entièrement aux mains des Anglais et son roi, Jean « le Bon », leur prisonnier depuis deux ans.
Plan de la Bastille, gravure de J. Chapman, publiée à Londres vers 1792
Un malheur n’arrivant jamais seul, le peuple et les bourgeois de Paris se révoltent cette année-là contre le pouvoir royal. Emmené par le prévôt des marchands Etienne Marcel, lointain prédécesseur d’Anne Hidalgo, la populace envahit le palais royal de l’île de la Cité où le jeune Charles, régent de la couronne alors âgé de 20 ans (son père croupit en prison en Angleterre) assiste, impuissant, à l’assassinat de deux grands maréchaux de sa Cour. Égorgés sous ses yeux.
Prise de la Bastille. Arrestation de M. de Launay, le 14 juillet 1789, Anonyme. Vers 1789
Sacré roi en 1364, Charles V dit « Le Sage » décide d’assurer sa sécurité et celle de sa Cour en allant se mettre au vert plus à l’Est, à l’hôtel Saint-Pol, le palais nouvellement construit « extra muros », dans l’actuel 4e arrondissement. Attenante au nouveau pavillon de banlieue de sa Majesté, la prison de la Bastille sert à dissuader le peuple de revenir jouer aux « gilets jaunes » comme il l’avait fait sur l’île de la Cité quelques années auparavant.
Ce n’est qu’à compter du XVIe siècle, alors que la France passe doucement du système féodal du Moyen-Âge à l’absolutisme royal de l’Ancien Régime, que la Bastille se transforme peu à peu, sinon en goulag cinq étoiles, du moins en lieu de privation de liberté doté d’un certain nombre d’aménagements.
Ici, la plupart des prisonniers, assez peu nombreux, plutôt bien nés voire célèbres (le marquis de Sade, Voltaire, entre autres personnalité), ont le droit, moyennant finances, de s’y faire livrer à domicile et deux siècles avant les smartphones, leurs plats préférés, des livres, des vêtements. Et, même, d’y recevoir de la visite – médecins, famille, amis, femmes galantes. Et cela, dans des cellules parfois plus proches du charmant deux pièces avec vue que du sinistre cachot.
C’est le roi lui-même qui se charge de la réservation, par simple lettre de cachet, c’est-à-dire un simple autographe de François/Henri/Louis – rayer la mention inutile et compléter avec le chiffre adéquat – qui mène à la case prison, sans motif ni procès. Vers la fin du règne de Louis XVI, la durée des séjours s’étend, en moyenne, de six mois à deux ans. Guère plus.
Arrive la date fatidique du 14 juillet 1789. L’immense château fort où s’ennuient sept détenus et un malheureux gouverneur – lynché ce jour-là – est plutôt le symbole d’un absolutisme moribond que celui d’une terrible « loubianka » (la prison de la police secrète russe) d’avant l’heure.
La réaction du roi, qui ne tardera pas à être surnommé « Louis l’Abruti » dans les pamphlets révolutionnaires, est connue. « Mais c’est une révolte ? », demande-t-il à l’annonce de la prise de la Bastille. « Non, Sire, c’est une révolution », lui répond le duc de la Rochefoucauld-Liancourt.
L’étonnement du roi peut s’expliquer ainsi : pour lui, la Bastille n’est plus le symbole de grand-chose et il voit dans son assaut un événement presque anodin. Il se trompe, bien sûr, mais il est vrai que la prison n’est déjà plus le cœur du système pénitentiaire.
D’un entretien affreusement coûteux pour la Couronne, un projet royal resté dans les cartons avait d’ailleurs prévu sa démolition totale dès 1784 au profit de la création d’une grande place… à la gloire de Louis XVI ! La démolition aura bien lieu, mais par le peuple, sept ans plus tard, en ce fameux 14 juillet (et dans les semaines suivantes) qui marque le premier jour de l’aventure républicaine.
Projet d’une place publique à la gloire de Louis XVI sur l’emplacement de la Bastille, ses fossés et dépendances avec la continuation du rampart (sic) jusqu’à la rivière, sur partie des fossés de la Bastille / fait par le Sr Corbet. 1784.
Démolition de la Bastille, estampe, éditée par Basset, 1789. Paris, musée Carnavalet
Aujourd’hui, les vestiges de la Bastille sont bien rares : le tracé des murs sur la place du même nom, quelques pierres dans le square Henri-Galli au quai des Célestins, d’autres sur les quais du métro Bastille ; d’autres encore au pont de la Concorde, terminé en 1791 avec les pierres de la prison, afin que les pieds des citoyens puissent fouler à loisir l’infâme symbole du despotisme.
Texte : Arthur Goth-Moruzzi – Instagram
14.07.21